Regards kaléidoscopiques sur notre temps, expériences à vivre, installations immersives, les quatre propositions des lauréats Audi talents 2017 Anne Horel, Emmanuel Lagarrigue, Hugo L’ahelec et Eric Minh Cuong Castaing dessinent les contours hybrides d’une création contemporaine vive. Après une première exposition au Palais de Tokyo du 22 juin au 14 juillet 2018, elles étaient présentées à La Friche la Belle de Mai, à Marseille, du 2 septembre au 14 octobre 2018.
Le mot du commissaire
« Dans leur face à face, les quatre projets révèlent des territoires communs, en particulier ce besoin exprimé par les créateurs actuels d’atteindre et de dépasser les limites de leur medium. Dans electronic city, Emmanuel Lagarrigue, dont le travail est souvent adossé à une exploration plastique du langage, a voulu transposer la pièce de Falk Richter dans l’espace et le temps de l’exposition : plutôt qu’une confrontation « classique » entre des spectateurs et une scène, le public est ici invité à entrer au cœur de la scénographie, déambulant librement au milieu de l’œuvre. Dans ://[aʃtag], Anne Horel, qui se définit elle-même comme une « artiste des réseaux sociaux », a choisi de mettre en scène dans une forme d’abécédaire les messages et les créations d’artistes digitaux auxquels elle a confié le soin de nous donner leur singulière perception du monde. Le plasticien Hugo L’ahelec développe dans The Death Show une série de sculptures et d’installations ayant pour thème l’apparente dualité entre le rituel et le spectacle, dans une ambitieuse entreprise de mise en scène contemporaine de la mort. Enfin, le chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing nous présente dans L’Âge d’Or, un film saisissant retraçant l’aventure chorégraphique dans laquelle il a rendu possible, durant de nombreux mois, la rencontre entre des danseurs professionnels et des enfants handicapés. »
://[aʃtag], Anne Horel
Anne Horel propose un état des lieux de notre époque sous la forme d’un abécédaire multimédia. Anne Horel a réuni 26 artistes rencontrés sur les réseaux sociaux autour d’un Manifeste. Chaque artiste a réalisé une vidéo de 26 secondes illustrant une lettre de l’alphabet, une problématique tirée du Manifeste (la surconsommation, l’écologie, notre rapport au temps…). Puis, dans un dispositif identique, la jeune femme a interviewé chacun des artistes. S’y révèlent les sensibilités à fleur de peau d’une génération d’artistes internationaux grandie sur les réseaux sociaux et soucieuse de son environnement.
Le projet propose un parcours visuel déclinant les modes d’expression : installation vidéo, film documentaire, cabinet de curiosités, site internet. Jouant sur les codes de la propagande visuelle, des années 1930 à nos jours, entraîne le spectateur à travers la pensée rhizomique d’Anne Horel, un dispositif de collage protéiforme confrontant les documents d’archives à ses réflexions et celles des créateurs invités. Le Manifeste sera prochainement présenté sous la forme d’une série documentaire.
Crédit photo : André Morin
Les 26 artistes invités du projet
Sunny Mabrey, Jenna Masoud, Xaviera Lopez, Jérémie Grandsenne, Claudia Cukrov, Tony Oswald, Pisie Hochheim, Mackenzie Becket, MJ Riggins, Albert Birney, Nick Gallo, Rhys Stover, James Curran, Karissa Becker, Milos Rajkovic, Gretchen Lohse, Thomas Hues, Nic Courdy, James Kerr, Deladeso, Olaf Falafel, Ankur Thakkar, Ellen Burke, Casey Lambert, Sammy Slabbinck, Heather Christianson, Meghan Doherty, Alyson Louise, Bronwyn Lundberg, Sarah Zucker, Frederic Beehupp.
not electronic city, Emmanuel Lagarrigue
Un monde pressé, déréalisé, les gens s’y croisent, parlent, seuls : le langage ou son impossibilité, le « contemporain », sont des sujets chers à Emmanuel Lagarrigue. Ils sont au cœur de la pièce du dramaturge allemand Falk Richter, Electronic City. L’artiste s’en est emparée. Avec l’écrivain Olivier Steiner, il a adapté le texte, vivifié les dialogues, et en fait sa electronic city (prononcez not electronic city). Remplaçant la frontalité du théâtre par l’immersion, changeant les acteurs en apparitions vidéos, invitant le spectateur à proposer sa propre déambulation dans la pièce, il a conçu un « théâtre automatique » relevant de l’art contemporain, du théâtre et du cinéma. Projetés sur huit écrans transparents, Tom et Joy, interprétés par Manuel Vallade et Sigrid Bouaziz, y jouent leur histoire d’amour à distance, tandis qu’un chœur composé de plusieurs acteurs leur fait écho. Dans un espace ouvert, le spectateur circule sur une « aire de jeu », une scène ouverte où il est invité à « vivre » l’œuvre.
« J’ai développé ce projet comme un ensemble de rencontres, de situations d’échange, presque à rebours du texte lui-même. Avec un écrivain pour l’adaptation, des acteurs et interprètes, un musicien, autant de personnes avec lesquelles j’ai cherché à partager une envie, une vision. C’est cette situation de commun que j’espère connaître aussi avec les spectateurs. »
Emmanuel Lagarrigue
Avec : Sigrid Bouaziz, Manuel Vallade, Vivianne Perelmuter, Jean-Charles Dumay, Katarzyna Krotki, Mélanie Menu, John Foussadier, Mahdi Sehel.
Texte adapté de la pièce Electronic City de Falk Richter, traduction de Anne Monfort, © L’Arche Editeur 2008 / Adaptation : Olivier Steiner
Musique : Nicolas Jorio
Caméra : Abel Llavall-Ubach
Courtesy Galerie Sultana
Crédit photo : André Morin
The death show, Hugo L’ahelec
Religieux et divertissement, sacré et spectacle, rituel et performance : Hugo L’ahelec manipule et (re)colle ces notions aujourd’hui souvent opposées. Son projet The Death Show invitait le public dans l’espace du rituel funéraire, rendu à sa dimension poétique, numineuse. Sujet classique de l’art, la mort est l’occasion pour l’artiste de convoquer une mémoire d’images, de références et de gestes et de les assembler sous un jour nouveau. Mouvements surnaturels, décalages surréalistes, représentations fantomatiques et effets spéciaux mettaient en place différentes scènes dans lesquelles pouvaient se projeter les visiteurs. Le projet envisageait l’exposition, l’installation et la sculpture en lien avec le rituel et le spectacle : cultures de mouvement, de script, de mise en scène, de décor, de codes.
Crédit photo : André Morin
« Les sujets sur lesquels je travaille ne peuvent pas mener à des représentations directes. Le jeu consiste plutôt à mettre en place un environnement. J’espère de cette façon, comme dans l’appréhension de la liturgie, du théâtre et du jeu, que celui qui parcourt l’exposition pourra se sentir spectateur ou bien acteur, être dans une attitude contemplative ou réflexive et finalement plonger dans des questionnements intimes. »
Hugo L’ahelec
L’Âge d’Or, Eric Minh Cuong Castaing
Diptyque composé d’un film et d’une performance, L’Âge d’Or nous plonge au cœur d’une expérimentation chorégraphique menée par des enfants atteints de troubles moteurs avec des danseurs professionnels. Associant technicités corporelles et nouvelles technologies, le film, diffusé dans un espace immersif, capture l’émotion des enfants engagés dans une danse commune, en négociation avec leurs corps insoumis à la représentation, puis au sein d’un dispositif inspiré de la réalité virtuelle. Dotés de lunettes leur permettant de voir en temps réel ce que voient les danseurs, ils revivent cet Âge d’Or mythologique décrit par les poètes antiques : les Hommes y vivent avec les dieux, dans un monde prodigue, sans souffrance ni labeur. Envisageant l’image cinéma sous le prisme de l’esthétique vibrante des corps en mouvement, le court-métrage dérive du genre documentaire à celui d’une fiction inspirée par cette rencontre.
« Travailler avec les enfants, c’est commencer par s’éloigner de la notion de représentation au profit d’une pure présence. Importer le réel. Le voir bouger. Tenter de mettre en place les conditions nécessaires pour que ce qu’ils sont puisse apparaître. Ce qu’ils sont et ce qu’ils transportent, presque malgré eux : une présence mais aussi un présent. »
Eric Minh Cuong Castaing
Film co-écrit par Eric Minh Cuong Castaing, Marine Relinger.
Collaboration artistique : Silvia Costa.
Avec les enfants du centre d’éducation motrice Saint-Thys à Marseille, Eric Minh Cuong Castaing, Silvia Costa, Aloun Marchal.
Musique : Alexandre Bouvier.
Chorégraphie par Eric Minh Cuong Castaing, Aloun Marchal.
Avec les enfants du centre d’éducation motrice Saint-Thys à Marseille, Eric Minh Cuong Castaing, Jeanne Colin, Aloun Marchal, Nans Pierson.
Photo : Aurélie Cenno